J'ai récemment fini Deathloop. D'après mon compte Steam, une cinquantaine d'heures m'ont été nécessaires pour en venir à bout, mais il faut en soustraire une bonne quinzaine parce qu'il m'a fallu trois ou quatre tentatives pour vraiment rentrer dedans. Bon, tous ces décrochages étaient dus à des soucis de performances. J'ai joué la première fois sur une GTX 1070 vieillissante, et ensuite, même sur une machine bien plus performante, j'ai dû me résoudre à le descendre en moyen/élevé pour pouvoir profiter d'une expérience fluide avec un FOV réglé au maximum (comme j'ai l'habitude de faire sur à peu près tous les immersive sim d'Arkane). Cette optimisation honteuse est d'autant plus surprenante que le jeu n'est vraiment pas plus beau que ses deux prédécesseurs Dishonored 2 et Dishonored: Death of the Outsider. Enfin, si, il y a du raytracing qui hachera la moitié de vos performances pour un gain visuel complètement imperceptible, si ce n'est des ombres un poil moins pixellisées.

Mais comme à son habitude, Arkane nous prouve qu'un beau jeu n'a pas besoin de graphismes révolutionnaires tant que la direction artistique tient la route. Et l'ambiance de Deathloop est en ce point remarquable.

Du Jazz-noir-punk panaché

C'est ce savant mélange de rétro-futurisme, qui allie une architecture extérieure plutôt brutaliste de l'ère victorienne, de laquelle surgissent quelques bâtiments dans les tons des années 60-70 ; tout comme les intérieurs aussi bien rétro que modernes, du bunker métallique aux fauteuils arrondis sur moquette rouge, des distributeurs de bonbons aux bornes d'arcade ; le tout arrosé d'une bonne dose de science-fiction surréelle avec des lasers, des lumières qui font bip boup, des couleurs pétantes, bref, une ambiance unique qui vous fait vraiment vous sentir hors du temps.

J'étais un peu dubitatif avant d'y jouer, peut-être parce que l'ambiance ultra soignée de Karnaca dans Dishonored 2 et Dishonored: Death of the Outsider avait placé la barre si haut. Mais non, je m'étais bien fourvoyé. Il y a une onde dans l'air de l'île de Blackreef (théâtre des événements de Deathloop), une onde indéchiffrable qui rend tout curieux et amusant. Les tons, les couleurs et les contrastes donnent une dimension presque comic-book américain, comique et léger, et en même temps, un beau côté noir détective qui rajoute un peu de tension et de mystère, mais juste ce qu'il faut.

C'est vraiment la meilleure direction artistique conçue par Arkane, à mon humble avis. Les Dishonored et Prey brillent par la leur aussi, mais elle n'est pas aussi innovante, aussi osée. Les visuels de Deathloop sont vraiment originaux.

La conception des personnages est globalement bonne, bien que je préfère les gueules marquées de Dishonored. Seuls quelques-uns sortent vraiment du lot, comme Aleksis Dorsey pour son masque de loup ou Fia pour son style qui m'évoque pas mal Reyna dans Valorant. C'est seulement dommage que les Éternalistes n'aient pas reçu le même amour. Ils sont visuellement assez oubliables et indiscernables, ni beaux ni laids... ils existent, et c'est tout.

Côté sonore, c'est propre. Bon sang, quel plaisir de se soûler à du bon jazz fusion (tirant même sur le jazz espion) pendant qu'on massacre des hordes d'Éternalistes masqués — et sans la moindre conséquence néfaste sur l'histoire, parce que Deathloop est débarrassé du seul carcan qui affligeait les deux premiers Dishonored : le système de chaos.

Aucun remords à tuer les méchants

Dishonored 2 a réussi, finalement, à me faire épargner les personnages moralement pardonnables (lisez bien : des pixels sur un écran animés par un ordinateur), et à ne tuer que les bandits, les sorcières et les connards. Mais avant chaque exécution, je suis toujours forcé d'estimer si tuer un personnage de plus me fera basculer dans le chaos élevé et ruinera la fin optimiste du jeu. Heureusement, pas dans Deathloop. Là on peut tuer par brassées, et sans soucis, ce qui en fait un bon défouloir.

Et on a pas mal d'outils pour s'amuser. Si on retrouve la classique téléportation à courte portée chère à Arkane, ou encore le Domino de Dishonored 2, il y a un pouvoir en particulier que j'avais en permanence équipé parce qu'il est terriblement satisfaisant : Karnesis, qui permet d'envoyer voler ses ennemis dans n'importe quelle direction d'un simple geste de la main, comme si on les jetait avec la Force. Jetez-les du haut d'un toit, en l'air pour un tir au pigeon, défenestrez-les, bref, c'en est presque addictif.

Les armes ont un sacré panache, et au fil des boucles, on est amené à souvent changer d'arsenal parce qu'on en trouve de meilleures ou de plus jolies. Mais les fusillades ont tendance à être un peu brouillonnes.

La grosse tache sur la nappe de soie blanche

Il est souvent plus facile d'identifier les défauts que de les résoudre. Deathloop n'y échappe pas. Ou plutôt, c'est difficile d'en résoudre un en particulier sans changer le cœur du jeu.

Déjà, le jeu souffre d'un évident manque de finition, assez flagrant quand on le compare aux deux jeux précédents du studio, Dishonored 2 et Dishonored: Death of the Outsider. Les animations d'exécution à la première personne sont un peu rigides ; vus de trop près, les visages manquent de caractère. Je n'en tiens que peu rigueur au studio, car si j'ai bien compris, Deathloop n'était à la base qu'un petit projet sans trop d'ambition avant d'avoir été pressé au grand public par Bethesda avec la tendance émergente des jeux à boucles temporelles.

Parce que les boucles temporelles sont l'échine du gameplay de Deathloop, le jeu en subit les tares. Seulement quatre environnements différents, offrant certes des opportunités évolutives en fonction de l'heure à laquelle vous les visitez, mais sans jamais être radicalement transformés. Ce choix se comprend car en multipliant les cartes, on accroît exponentiellement la durée requise pour finir le jeu, sans mentionner le fait qu'on s'éparpillerait davantage.

Ces environnements sont d'ailleurs plutôt petits : on en fait bien vite le tour. Et on est forcé d'y repasser encore et encore. Mais bien fine est la ligne qui sépare répétitivité stratégique (repérer des indices et habitudes de personnages pour les exploiter à la prochaine boucle), et répétitivité agaçante, pour ainsi dire ennuyeuse (connaître ces habitudes par cœur , l'emplacement de chaque piège, et avancer sans la moindre difficulté ni réflexion).

Et contrairement aux Dishonored précédents, ces environnements sont vraiment moins vivants malgré leur évolution au fil de la journée. L'absence pure et simple de personnage amical, ou même neutre, avec lesquels on aurait interagi dans un Dishonored, y participe. Ça ne brise pas l'immersion et ça ne rend pas le jeu moins bon ; ça ne le rend simplement pas aussi intéressant. Autre détail tout bête qui paraît futile : dans les Dishonored précédents, on pouvait s'attarder sur chaque table, cabinet et armoire, ouvrir les tiroirs et les coffres pour découvrir des trésors ; faire voler des portes en éclats, briser des volets... chose quasiment inexistante dans Deathloop, je crois. Les décors sont plus rigides, et même souvent figés. C'est ça qui manque cruellement : l'interaction.

Pas de sauvegardes manuelles — sérieusement ?

Il est extrêmement rare qu'un jeu solo me mette sur les nerfs. Dès que je sens la moutarde me monter au nez, cette merveilleuse combinaison de touches nommée Alt + F4 résout toujours le problème.

Je comprends bien que les développeurs de Deathloop aient voulu empêcher la fameuse pratique du "sauvegarder avant de tenter une action délicate pour pouvoir recharger sans risque si ça tourne au vinaigre" (ou "save-scumming" en anglais), car ç'aurait interféré avec le principe du jeu (à savoir que la mort fait recommencer la boucle, et que recommencer la boucle nous fait progresser). Et de toute façon, avec le pouvoir "Reprise" qui permet de ressusciter deux fois dans le même niveau, pouvoir qu'on possède de base et en permanence, on a le droit à l'échec.

Deathloop sauvegarde la progression uniquement à la fin d'un niveau. Si vous quittez au milieu de la partie, lorsque vous relancez le jeu, vous recommencez au début du niveau comme s'il ne s'était rien passé. Donc je ne compte plus les fois où j'ai désinstallé le jeu sur un coup de sang à cause d'un crash aléatoire survenu après une bonne cinquantaine de minutes à progresser dans un niveau. Pour faire simple, vous devez vous attendre à perdre potentiellement plusieurs heures de jeu parce que les développeurs se sont permis d'intégrer une mécanique impardonnable sur un moteur de jeu instable.

Je parle évidemment des crashs, mais vous avez PEUT-ÊTRE parfois juste besoin de quitter le jeu pour faire autre chose de votre vie. Et je ne vois vraiment aucune raison valable pour que les devs n'aient pas implémenté de mécanique comme celle suggérée dans ce post Reddit.

Finalement, Deathloop aurait pu être un peu meilleur avec un plus grand soin des petits détails. Il aurait sûrement été bien plus agréable sans cette répétitivité lassante, comme c'est le cas pour beaucoup de jeux à boucles temporelles. Et certainement moins frustrant sans cette angoisse permanente de perdre une heure de progression à cause d'un crash inexplicable vers la fin du niveau.